Retour sur les 30 ans de l’album D’Eux de Céline Dion, avec bien évidemment, Jean-Jacques Goldman aux manettes
Trente ans exactement après sa sortie, le 30 mars 1995, mais selon les territoires cela peut être le 28 ou plus tard), “D’Eux” de Céline Dion, reste une œuvre emblématique
Cet album, le treizième studio de Dion et le dixième en langue française, est devenu l’album francophone le plus vendu de tous les temps, avec plus de 12 millions d’exemplaires vendus dans le monde en incluant les streams et les ventes physiques. Écrit et produit principalement par Jean-Jacques Goldman, “D’Eux” a marqué un tournant dans les carrières de ses deux protagonistes, consolidant leur statut d’icônes de la musique.
Genèse de la collaboration : Une rencontre déterminante
La rencontre entre Céline Dion et Jean-Jacques Goldman s’est produite en 1993, lorsque Goldman, déjà une figure majeure de la chanson française, a été impressionné par la voix puissante de Dion lors d’une apparition télévisée, mais chanter “Là-Bas” à ses côtés lors des restaurants du coeur en janvier 1994, a certainement dû être l’élément déclencheur en coulisses. Selon des articles de l’époque, Jean-Jacques Goldman a alors décidé d’écrire un album entier pour elle, une démarche audacieuse qui allait changer la trajectoire de leurs carrières. Céline Dion, bien établie dans le monde anglophone avec des albums comme “The Colour of My Love” (1993), cherchait à renforcer sa présence en France, où elle était encore peu connue. Jean-Jacques Goldman, sensible à son talent et sa voix, a vu en elle une interprète idéale pour ses compositions, marquant le début d’une amitié et d’une collaboration musicale qui durerait des décennies.
Le processus d’enregistrement : Une intimité créative
Le gros de la préproduction des titres s’est fait au Studio Haut de Gamme de Boulogne et l’enregistrement des voix de Céline Dion pour “D’Eux” a eu lieu au Studio Mega à Paris, en décembre 1994, dans des conditions inhabituelles. Erick Benzi, co-producteur et arrangeur, a décrit l’ambiance comme “très intime”, se déroulant dans un ancien blockhaus, avec une équipe réduite comprenant Céline Dion, son mari et manager René Angelil, Jean-Jacques-Goldman, Erick Benzi lui-même, et l’ingénieur du son Humberto Gatica. Cette configuration a permis à Céline de se sentir en sécurité, favorisant des performances émotionnelles et nuancées. Erick Benzi déclarait dans une interview au “Parisien” : “On n’était que quatre avec Céline : René, Jean-Jacques, moi et l’ingénieur du son Humberto Gatica. Selon moi, Vito Luprano de Sony Music Canada ne devait pas être très loin et suivre le projet de près. Cette intimité-là, a permis à Céline de se sentir en sécurité, uniquement entourée de gens qui l’aiment beaucoup.” Cette approche a contribué à l’authenticité de l’album, et plus en phase avec le public français, selon Eric Benzi.
Humberto Gatica, connu pour son travail avec des artistes comme Michael Jackson et Barbra Streisand, a joué un rôle crucial en tant qu’ingénieur du son et mixeur, assurant une qualité de production exceptionnelle au niveau de la voix de Céline DIon, même si le résultat final au niveau du mix a un peu déçu et surpris Erick Benzi et Jean-Jacques Goldman. “Mais quand je découvre le mix, c'est une horreur. Tout est écrasé, la voix est tellement forte que toutes nos subtilités, nos effets, ont disparu… Je suis atterré, Jean-Jacques malheureux. Vous savez quoi ? Quand on a atteint les six millions d'albums vendus, je l'ai trouvé très bien, ce mix ! » déclare Erick Benzi.
L’album a été principalement écrit par Jean-Jacques Goldman, qui a composé 10 des 12 chansons, avec une contribution notable d’Erick Benzi pour “Cherche encore”. Pour “Je sais pas”, C’est une collaboration à quatre mains entre frères Goldman avec J.Kapler, c’est à dire avec son frère Robert. Jean-Jacques Goldman a également produit l’album aux côtés de Benzi, créant une synergie créative qui a permis d’explorer divers styles musicaux, du blues (“Le ballet”) au rock ‘n’ roll (“J’irai où tu iras”) en passant par des ballades émouvantes comme “Vole”, dédiée à la nièce de Dion décédée de la mucoviscidose.
Pour moi, j’ai une petite préférence au niveau de la production et des orchestrations, pour le milieu de l’album, avec l’enchaînement des titres “Destin”, “Les derniers seront les premiers” et “J’irai où tu iras” car ces trois titres sonnent plus pop-rock et acoustiques, avec plus de relief, notamment avec l’apport des guitares acoustiques et électriques alors que le début de l’album de l’album “D’eux” est un peu plus dépourvu d’instruments joués par des musiciens et le rendu un peu plus froid selon moi.
D’ailleurs, si vous avez l’oreille un peu aiguisée, vous reconnaitrez facilement les mêmes rythmiques et séquences (boucle courte de quelques mesures répétitives) sur “ Pour que tu m’aimes encore” et “Je sais pas”. Mais vous me connaissez, j’aime aller plus loin dans la recherche et l’analyse, et vous retrouverez le même type de séquences sur le titre signé par Jean-Jacques Goldman pour Khlaed, “Aicha” qui partage aussi la même cassure et accélération du rythme avec “Plus que tu m’aimes encore”. D’autres sonorités sur ces trois titres, semblent laisser penser que c’est bien Erick Benzi qui a travaillé sur la production et les arrangements finaux, en utilisant le même type de séquences et aussi certaines nappes de synthés ou ambiances et notes jouées sur des claviers, qui sont très similaires. Même s’il est très difficile de trouver des crédits pour le titre de Khaled, à cette époque, c’était bien Erick Benzi qui était l’homme de confiance pour les productions de la grande majorité des titres signés JJG surtout en 1995 / 1996.
C’est un peu le seul commentaire que je ferai sur l’album “D’eux”, ce côté un peu digital au niveau de la production de certains titres. Cela n’a aucunement empêché l’album de connaître le succès qu’il a eu à travers le monde, ce qui prouve que l’important, c’était cette alchimie entre les créations musicales et les textes de Jean-Jacques Goldman, et la voix inimitable de Céline Dion. Tout s’est imbriqué parfaitement et les chansons étaient déjà quasiment prêtes lorsqu’elle a posé sa voix sur les musiques, ce qui a évité tout débat sur la construction des titres ou leur orchestration finale.
“Je ne suis pas Dieu merci un perfectionniste “ Jean-Jacques Goldman
Mais c’est bien connu, pour Jean-Jacques Goldman, c’est l’idée et la genèse du titre et sa préproduction, qui l’enchantent le plus, pas de passer des heures en studio pour faire “mieux sonner” le son d’une caisse claire, grosse caisse ou d’une cymbale par exemple. Ce sont ces éléments qui m’avaient entraîné à lui poser des questions sous cet angle-là. Il me l’avait d’ailleurs clairement expliqué lors d’une de nos rencontres en 2002 : “ Je ne suis pas Dieu merci, un perfectionniste. Moi l’essentiel de mon travail se situe avant, à la composition et à la confection des arrangements, et en particulier dans la construction de la chanson, j’y passe probablement plus de temps que les autres, mais par contre dans l’enregistrement lui-même, si cela ressemble à peu près à ce que je voulais, ça va très vite, je n’y passe pas des heures”.
“Il est rare de trouver des batteurs qui servent la chanson, un genre de Ringo Starr quoi” Jean-Jacques Goldman
Sur l’album “D’Eux” le single principal et emblématique de l’album est “Pour que tu m’aimes encore”, il a été un succès retentissant, restant 12 semaines au numéro 1 en France et 15 semaines en Belgique francophone, avec des ventes estimées à 2,1 millions d’exemplaires en France et autant au Canada, selon le Guinness World Records. Ce titre, devenu la signature de Dion en langue française, a également atteint le top 10 au Royaume-Uni, une rareté pour une chanson francophone. D’autres singles comme ”Le Ballet” et “Je sais pas” ont également bien marché, consolidant l’album comme un phénomène commercial.
Les critiques ont été généralement positives, notamment au Québec, louant la collaboration entre Dion et Goldman pour sa profondeur émotionnelle et sa diversité musicale. Un critique sur Album of the Year a noté : “Le meilleur album francophone de tous les temps, ‘D’Eux’ est iconique et essentiel pour Céline Dion.” Commercialement, l’album a été certifié disque de diamant en France en 1995, avec des ventes dépassant les attentes, notamment grâce à une couverture médiatique importante et à des performances live mémorables.
Pour Céline Dion, “D’Eux” a été un tremplin pour conquérir le marché français, renforçant sa position comme l’une des artistes francophones les plus vendues de l’histoire. Cela a également pavé la voie à des albums anglais comme “Falling into You” (1996), qui a adapté trois chansons de “D’Eux” en anglais (“If That’s What It Takes”, “I Don’t Know”, et “Fly”). Pour Jean-Jacques Goldman, l’album a consolidé sa réputation comme auteur-compositeur de premier plan, avec des ventes record qui ont dépassé ses propres attentes. Leur collaboration s’est poursuivie avec des albums comme “S’il suffisait d’aimer” (1998), montrant une relation artistique durable.
Des anecdotes sur l’enregistrement révèlent des moments mémorables. Benzi a partagé : “Dans un petit studio, un ancien blockhaus. On a peu de moyens et c’est très intime. Quelques musiciens passent jouer mais pendant dix jours, nous ne sommes que cinq.” Cette intimité a permis des sessions créatives intenses, comme lors de l’enregistrement de “Vole”, où Céline a livré une performance particulièrement émouvante, dédiée à sa nièce. Jean-Jacques Goldman ira déclarer, dans une interview : "La voix de Céline est extraordinaire. Elle peut transmettre tellement d'émotion, et ce fut une joie d'écrire des chansons qu'elle pouvait faire vivre de manière aussi puissante”.
De son côté, Céline Dion ajoutait en interview : “Cet album est très spécial pour moi. C’était une période de grande créativité et de collaboration. Les chansons de Jean-Jacques m’ont permis d’explorer différentes facettes de ma voix et de mes émotions”.
Un héritage indélébile
Trente ans après sa sortie, “D’Eux” reste un témoignage de la puissance de la collaboration artistique et de la résilience de la musique francophone sur la scène internationale.
Il est intéressant d’analyser aussi les volumes d’écoutes totaux de l’album sur Spotify par exemple.
Sans surprise aucune, c’est bien évidemment “Pour que tu m’aimes encore” qui reste le titre le plus écouté de l’album sur Spotify avec bientôt 142 millions d’écoutes, et qui est dans le top 10 des titres les plus écoutés encore sur la plateforme de la totalité du catalogue de Céline Dion. Mais le second titre, lui, est l’entraînant et réussi “J’irai où tu iras” (en duo avec Jean-Jacques Goldman) où l’on peut entendre également la voix de Carole Fredericks dans les choeurs. Le 3ème titre le plus écouté de l’album est “Prière païenne” avec près de 30 millions de streams (pas mal pour un titre jamais sorti en single !), devant “Je sais pas” (un peu moins de 28 millions de streams lors de l’écriture de cet article) et “Destin”. Suivent ensuite “Vole” et “Les derniers seront les premiers” puis “Regarde moi” et enfin arrive “Le ballet” qui semble moins accrocher de nos jours en streaming auprès du public, et qui prouve aussi que les choix d’écouter ou de zapper du public peuvent être bien différents à long terme, de ceux des labels ou du marketing au sein des maisons de disques.
C’est donc environ sur environ 25 titres à ce jour, que Céline Dion et Jean-Jacques Goldman ont collaboré. Le dernier titre en date sur lequel ils ont travaillé est “Encore un soir” sorti il y a près de 9 ans. Pour ce titre-là, Jean-Jacques Goldman avait fait appel à Luc Leroy et Yann Macé pour l’enregistrement et la production du titre, rôle qui était celui d’Erick Benzi auparavant sur plusieurs années. Sur le titre, on avait aussi Jacques Veneruso également qui avait poussé de la voix aux côtés de Jean-Jacques Goldman et Magali Ponsada pour faire les choeurs.
C’est ce même Jacques Veneruso qui a posté récemment une photo en studio de Jean-Jacques Goldman et de son frère Robert lors d’une séance manifestement d’enregistrement ou de production de titres. Des rumeurs persistantes annoncent en effet une nouvelle collaboration entre Jean-Jacques Goldman et Céline Dion, on voit récemment aussi Jean-Jacques Goldman de manière répétée dans un célèbre studio de Boulogne Billancourt. Studio qu'il connait bien mais aussi que son frère Robert, alias J.Kapler, connait parfaitement bien, pour y avoir beaucoup travaillé sur la production de titres pour Michel Sardou notamment, dans ce studio qui n’est qu’à 15/20 minutes de voiture ou moto de Montrouge...
La question est de savoir, est-ce que cette cession d’enregistrement était une parmi d’autres consacrées à la production de nouveaux titres pour Céline Dion, l’avenir nous le dira, et on devrait avoir la réponse assez rapidement au cours de l’été qui arrive.